vendredi, décembre 15, 2006

Peut-on produire des savoirs collectifs ?

Bonjour,

Pour diverses raisons ce n’allait pas très bien ces derniers temps et je m’excuse du retard pris dans cette production de compte-rendus.

La fin de journée de DocForum fut consacrée à la question : Peut-on produire des savoirs collectifs ? et la demi-journée se divisait en deux parties soulignant d’une part la production et d’autre part la gestion de ces savoirs collectifs.

1. La première conférence s’ouvrait ainsi sur ces questions : Produire des savoirs collectifs, une utopie, un leurre ou un nouvel horizon social ? Sur quelles bases se fait cette production de savoirs collectifs ? Quels en sont les lieux, les auteurs, les contraintes et les avancées ?

Elle faisait intervenir Alain Caraco, Directeur de la bibliothèque de l'université de Savoie : sur "le cas Wikipedia", Evelyne Broudoux : Maître de conférences en Information-Communication à l’université de Versailles St Quentin sur les "Folksonomies et indexation collaborative : rôle des réseaux sociaux dans la fabrique de l’information". Annelise Touboul, Maître de conférences en information-communication à l’université Lyon 2 est intervenue sur "Le journalisme participatif : interactivité des sites de presse " et enfin Christian Vandendorpe, Professeur au Centre d'Etudes françaises de l'université d'Ottawa (en vidéoconférence) a essayé d’intervenir sur les "copiage, téléchargement, duplication, et plagiat à l'université". La séance était modérée par Claire Bélisle du laboratoire LIRE.

  • Alain Caraco « Le cas Wikipédia » :

    D’abord quelques chiffres : 400.000 articles en français, 1.5 M en anglais et 150 M dans 256 langues.

    Ce wiki tire son origine du projet d’un homme d’affaire américain, Jimmy Wales, appelé Nupedia et lancé en 2000 dans lequel le savoir était vu comme un « bien commun » (plutôt que « bien publique », i.e. appartenant à une collectivité). Ce projet a été lancé avec Larry Singer, désigné comme rédacteur en chef. Nupédia était un projet d’encyclopédie collaborative mais bénéficiant d’un processus de validation classique, i.e. de relecture et validation par des experts. Le wiki permettant une modification rapide des articles et de garder un historique de ces changements, il fut lancé Wikipédia, un wiki censé proposer des articles à valider à Nupedia. Mais peu à peu ce second projet pris de plus en plus d’importance et aujourd'hui plus personne ou presque ne parle du projet initial.

    Wikipédia était à l’origine financé par Jimmy Wales, sorte de « despote éclairé » jusqu’à ce que fut fondé la fondation Wikimédia, avec à sa tête un conseil présidé aujourd’hui par une française.Wikimédia gère d’autres projets tels que la bibliothèque universelle WikiSource, la banque de données Wikimédia Commons, le dictionnaire Wiktionnary etc.

    Wikipédia n’apporte aucune garantie quant à la fiabilité de ses données, tandis que Britanica apporte ses experts et le poids du système de l’édition. En regard, Wikipédia apporte la garantie du nombre, l’idée étant qu’il y a suffisamment de regards critiques pour préserver le contenu de l’encyclopédie et tout en se gardant un certain nombre d’arbitres, d’usagers aux pouvoirs plus importants.

    Larry Singer a fini par quitter Wikipédia. Il a lancé en septembre 2006 le projet Citizendium, un projet similaire à wikipedia mais faisant quant à lui appel à des experts pour valider et figer in fine les articles. Ce projet ne saurait remplacer wikipédia mais devrait coexister avec lui, ne serait-ce que pour des questino de mise à jour de l’information.

  • Evelyne Broudoux : rôle des réseaux sociaux dans la construction de l’information.

    Le web 2.0 et le tagging ont favorisé l’émergence de groupes, de documents, d’identités d’auteurs et de constitutions de réseaux sociaux. Cette pratique, appelée en anglais « folksonomy » et inventée par Thomas Vander Wall se traduit par un partage des ressources par l’indexation. La folksonomy n’induit pas de relation entre les termes utilisés. A l’inverse, la « Taxonomy » est une classification hiérarchique structurée sous forme arborescente. Ainsi la folksonomy apparaît-elle comme une massification de l’indexation par des amateurs.

    Les tags permettent une veille informationnelle. Une couche signifiante de mots-clés semble supérieure et plus utilisée que des termes non-signifiants. Ils permettent aussi la construction de réseaux sociaux (surveillables) par la collection de petits groupes (fragmentation), de réseaux d’influence, un usage décroissant des pseudos, une augmentation de la notoriété des auteurs.

    Il y a des folksonomies pédagogiques à destination des communautés d’apprentissage.

    Un taggueur est reconnu comme expert s’il utilise un vocabulaire précis.
    En 2005, il y eut une étude (de Kome) qui a porté sur le catalogage de 30 URL, soit 647 billets, et qui a démontré que le classement était sensiblement le meme entre un classement hierarchique et un classement par tags.

    Hier nous avions des outils qui collectaient et partagaient l’information, aujourd’hui nous avons des outils qui l’agrège, demain, iront-nous (avec notamment le web 3.0 dit sémantique) vers une reconnaissance des experts ?

  • Anne-Lise Touboul : l’hyperactivité des sites de presse

    « entre relégation et exploitation de la parole profane ».
    Qu’en est-il du journalisme citoyen ? Est-ce un effet d’annonce ou se trouve-t-on devant un réel partage du territoire éditorial, au risque d’affaiblir le statut du journaliste ?

    L’hypothèse du chercheur est que la parole profane, si elle est bien présente demeure strictement encadrée. C’est ce qu’elle a découvert notamment à travers l’étude de journaux électroniques (LeMonde.fr, Libération.fr) où :
    Les chats étaient lissés, encadrés, avec une publication finale comme d’un article ou un entretien de radio. La communication événementielle y est contrôlée.
    Les forums montre une implication éditoriale (ne serait-ce que pour des questions juridiques et organisationnelles), une mise en forme contraignante, mais également plus de participation de la part des usagers.
    Les blogs sont des espaces d’autopublication dans laquelle la fonction éditoriale du journée demeure prégnante par la mise en valeur de tel ou tel blog. (Pour Le Monde, car les Libé-blogs sont uniquement tenus par des journalistes)

    Il y a donc une distinction des paroles profanes et expertes, avec une gestion extériorisée même si on découvrent des rapprochements (valorisation, liens…). Cette mise en scène de la parole profane montre
    un intérêt économique (ça génère du trafic, et de l’argent via la micro-publicité),
    un intérêt marketing (création de communauté, image d’ouverture et de participation des publics)

  • Christian Vandendorpe : « copiage et duplication »

    L’intervention de M. Vandendorpe fut fastidieuse parce qu’elle était organisée en visioconférence avec Montréal et que le serveur de l’Ens est tombé en panne. La solution de secours proposée fut donc de suivre d’appeler le Québec par téléphone, le temps de suivre l’intervention.

    Ce dernier a évoqué un espace culturel en reconstruction où tout le monde pouvait intervenir et parler, ce qui entrait en contradiction avec les cadres juridiques actuels « corsets rigides pour les nouvelles réalités du web ». Ainsi il est dangereux de parler comme au Canada de « Journée de la lecture et du droit d’auteur » car il est dangereux de confondre lecture et droit. La lecture n’est pas un droit, surtout à l’ère d’internet. La lecture n’est pas sous la coupe de l’économie marchande.

    La question se pose également de la conservation des documents numériques : alors que les sources pré-internet sont de plus en plus accessibles grâce aux efforts de numérisation, le numérique natif finalement semble n’intéresser personne si ce n’est quelques entreprises privées telles Archives.org, à l’instar des livres du 19e siècle parus pour la première fois en masse mais sur des papiers de qualité moindre et de faible conservation.





    2. La seconde conférence abordait des problématiques de gestion de l’information : Quelle gestion sociale et institutionnelle de cette production de savoirs collectifs ? Mise en place de la société de la connaissance ? Y a-t-il opposition entre l'économie de la rareté sur laquelle est fondée la production et distribution des biens culturels et l'économie de l'ouverture de l'accès que permet le numérique ?

    Les intervenants étaient Martine Dreneau, responsable de la documentation à l'Observatoire Régional de la Santé Rhône-Alpes, Melanie Dulong de Rosnay, responsable juridique de Creative Commons France/CERSA CNRS/Université Paris 2 , Stéphane Sacquépée, Ville de Lyon et Jean-Michel Salaün, Directeur de l'Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l'information (en vidéoconférence depuis Montréal)/ La modération était assurée par Ghislaine Chartron, INTD-CNAM

  • Martine Dreneau : une expérience de base de données collaborative

    Le produit de la Banque de Données de Santé Publique est destiné aux professionnels de la santé pour alimenter les recherches et aider à la prise de décision. Il existe depuis 13 ans et contient 345.000 références, 20.000 documents accessibles en texte intégral et un thésaurus en ligne, ainsi depuis 2002 que d’un annuaire critique de sites webs, d’un agenda des colloques et des offres d’emploi. Depuis cette année, la totalité du site est libre d’accès.

    La base fonctionne en réseau ouvert (il y a des entrants, des sortants chaque année) réglé par une convention cadre, entre les fondateurs, entre la BDSP et producteurs bénévoles. Chaque producteur envoie alors ses notices locales à la BDSP et reçoit les autres notices produites qui l’intéresse en retour. La BDSP bénéficie d’un budget de 200.000 € utilisé à 90% pour les frais de personnels et 10% pour les frais de fonctionnement. Elle est financée par le ministère.

    Pour l’accès aux documents, les droits d’auteurs sont respectés grâce à la médiation de l’INIST ou via une convention spécifique.

  • Mélanie Dulong de Rosnay : Responsable juridique des Créative Commons

    Les Creatives Commons sont une boîte à outils utilisée pour contrer l’adaptation abusive des droits et montée en 2001 par Lawrence Lessig. Elle permet au titulaire des droits d’exprimer à l’avance l’utilisation voulue de son produit (ce qui permet de faire en outre l’économie des coûts de transactions). Les CC ont été transposés dans le droit local de 30 pays. Selon Google, 100 M de liens pointent vers les contrats CC mais il n’existe pas de base de données (on ne connaît pas le nombre de contrats CC passés).

    Il existe ainsi 6 contrats CC se composant d’un tronc commun (autorisation de rerpoduire l’œuvre à des fins non commerciales tant qu’il y a mention de la paternité de l’œuvre) et d’options. Pour utiliser un contrat, ça se fait en trois clics et, sur le document apparaît la mention « certains droits réservés », le logo et un lien vers le contrat.

    Grâce à ce contrat, l’utilisation du document augmente, les coûts de transaction baissent, la syndication est légale.

  • Stéphane Sacquépée, directeur du programme lyonnais pour la société de l’information (accès à la connaissance pour tous).

    L’accès à la connaissance pour tous est le rôle des pouvoirs publics. Lyon propose une quarantaine de plateformes web. Lyon a ainsi mis en place un « Guichet des services » qui permet aux usagers de se retrouver dans cette profusion d’informations en ligne et de faire une recherche selon son profil. De même il devrait y avoir un guichet unique pour la création d’entreprise, l’agenda culturel de la ville, la recherche d’emploi.

    Ces plateformes doivent permettre une amélioration du travail des salariés, une meilleure lisibilité pour les usagers, une plus grande efficience.

    Les collectivités doivent se servir du web 2 pour impliquer les citoyens, ce qui n’est pas sans poser des problèmes, au niveau des compétences des agents d’une part et au niveau juridique d’autre part : on est en effet toujours en terrain d’expérimentation. Le but serait d’atteindre ce qui se fait en Afrique du Sud où se trouvent des « toasters » dans les rues, une boîte proposant des contenus ou permettant le dépôt de documents dans la rue là où les citoyens ne veulent ou n’osent pas aller.

  • Jean-Michel Salaün : encadrement économique et juridique dans la société de la connaissance.

    D’un point de vue canadien, il y a une grande réflexion initiée par Bibliothèques et Archives du Canada sur l’encadrement économique et juridique dans la société de la connaissance.Pour préparer ce sommet, un riche document de synthèse est accessible en ligne intitulé Progrès et Perspectives (pdf).

    D’un point de vue de la politique globale, on voit une concertation entre tous les acteurs : collectivités, bibliothèques, musées, institutions, universités… sur le sujet des droits de la sociétéde l ‘information qui se traduit pas une responsabilisation collective dans la définition de l’accès au savoir afin de prendre des décisions qui auront des connaissances (y compris financières) pour les générations futures.

    D’un point de vue individuel, le développement du web et du numérique en général se fait grâce à l’argent de fondations privées (cf OpenAccess Initiative, WikiMédia, Internet Archive…). C’est une tradition nord-américaine que de financer le « bien commun » et de réorienter l’argent public et surtout la fiscalité, car ils récupèrent la moitié de l’argent donné sur leurs impôts aussi. Cette dimension d’autant plus importante car il va y avoir une redistribution de l’argent et de l’héritage informationnel suite au papiboom et donc une redistribution du partage du savoir est à prendre en compte dans la future économie du web.