Bibliothécaires en représentation
Quand on se penche sur les représentations du bibliothécaire, on rencontre le plus souvent l'image d'une femme entre deux âges, l'air revêche et renfrogné, les cheveux relevés en chignon, portant des habits aux teintes ternes qui se fondent dans la poussière grisâtre des livres et prête à dégainer l'index afin d'intimer d'un "shhht" retentissant le silence à quelque usager oublieux de lui-même. Accessoire indispensable, les lunettes, où par bonheur, où par mégarde pointe une touche d'originalité. On l'imagine aisément vieille fille, forcément.
C'est une image tellement conventionnelle qu'on la retrouve en jouets (cf l'incontournable Nancy Pearl en attendant Barbie), dans les dessins animés même nous affirme Manue en citant Mona le vampire et sa "fameuse bibliothécaire à chignon prête à assassiner les enfants au premier chuchotement".
Forcément, elle oeuvre au coeur d'un bâtiment qui tient plus lieu d'un véritable Temple du Livre et du Savoir et, ajouterais-je plus particulièrement en France, de la Culture. Alors quand ces bibliothécaires apparemment coincées dans une faille spatio-temporelle depuis le 19e siècle se regroupent et s'insurgent contre la disparition programmée du CSB, cela étonne et cela fait sourire... (je rebondirais sur GooglePrint ultérieurement).
En France, ai-je souligné, parce que j'ai l'impression que cette image est moins vivace dans les pays scandinaves et anglo-saxons où la bibliothèque apparaît plus comme un véritable centre de ressource. Il n'est qu'à voir à ce propos dans les films et téléfilms d'outre-atlantiques les représentations qu'on nous montre (cf librarians in the movies). Les héros n'hésitent jamais à aller consulter des documents à la bibliothèque dès que le besoin s'en fait sentir. Je pense à des titres aussi différents que Philadephia, Malcom X, les Indiana Jones, Harry Potter ou l'excellent (ben oui, j'ai aimé ^^) Pagemaster. J'imagine mal une telle scène dans un film français mais j'avoue que ma culture cinématographique n'est pas si développée que cela. Un documentaire d'ailleurs est censé être tourné sur la représentation des bibliothécaires dans les films hollywoodiens.
Il n'est pas trop difficile de se dire que cette représentation est en partie due à l'image que se font les gens du mêtier même de bibliothécaire. Ainsi, quand on le voit travailler, le bibliothécaire attend à un bureau, y colle des étiquettes sur des livres, renseigne quelqu'un et semble passer le plus clair de son temps à bailler aux corneilles. Il lit forcément, parce qu'un bibliothécaire ça doit lire pleins de romans, ou de magazines à la limite. De temps en temps, il range les livres en rayons selon un classement plus ou moins élaboré que seul un fou ou un passionné des livres et du rangement pourrait adopter, et probablement qu'il doit aussi les dépoussiérer comme un collectionneur veille jalousement sur chaque trésor de sa collection. Le bibliothécaire se révèle alors soit un planqué, soit un doux rêveur marginalisé et coupé du monde réel par une montagne de livres et de papier. Le public ne semble rien connaître de tout le travail qui se fait en amont et encore moins qu'il faille passer des concours pour devenir bibliothécaire. Je passe sur la différence entre le grade et la fonction qui doit complètement lui échapper, et à la limite qui peut sembler à ses yeux de simple usager totalement superflue.
Oui mais voilà...
Pour ne prendre que mon exemple personnel : je suis un homme, je suis jeune (26 ans), j'ai des vêtements colorés aussi ^^, je suis en couple et surtout, je ne touche pas un livre de la journée dans le cadre de mon travail. Je concède néanmoins avoir des lunettes d'une part et d'autre part voir peu les usagers.
D'un point de vue plus global, c'est l'orientation même du métier qui a évolué ces dernières années :
"The librarian of today, and it will be true still more of the librarians of tomorrow, are not fiery dragons interposed between the people and the books. They are useful public servants, who manage libraries in the interest of the public... Many still think that a great reader, or a writer of books, will make an excellent librarian. This is pure fallacy."
Sir William Osler's definition of what makes a good librarian, 1917.
Le changement le plus marquant se trouve donc dans une sorte de révolution copernicienne, un glissement de l'essence de notre métier qui se découvre non plus tant orienté vers les collections que consacré au service des usagers. Ceci dit, il me semble que ce changement d'orientation date déjà du début du 20e siècle, la France ayant profité après la première guerre mondiale des aides américaines qui construisaient des bibliothèques un peu partout (il faudra que je replonge dans mes cours pour vérifier ce point).
Les bibliothécaires se penchent de plus en plus sur leur travail, remis en question avec l'arrivée des nouvelles technologies et des nouvelles compétences que celles-ci induisent (lire à ce propos les nombreux articles professionnels notamment parus dans le Bulletin des Bibliothèques de France). Ses domaines de compétences évoluent et l'Ecole nationale supérieures des bibliothèques (ENSB) est ainsi devenue l'Ecole nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques (ENSSIB). Voilà qui est parlant. Ainsi, the rambling librarian demande_t_il What makes a good (public service) librarian ? et répond :
- Un "bon bibliothécaire" est quelqu'un dont l'existence est reconnue par l'usager
- Un "bon bibliothécaire" est quelqu'un d'accessible
- Un "bon bibliothécaire" est quelqu'un qui produit des résultats
- Un "bon bibliothécaire" est quelqu'un qui comprend et applique les 5 lois de Ranganathan (fondateur de la théorie des classification à facettes)
- Un "bon bibliothécaire" est quelqu'un de passionné par son travail
Marlène Delhaye ajoute à ces qualités, et avec raison je trouve, la curiosité et l'ouverture d'esprit.
Et nos collègues bibliothécaires de prendre le problème de leur image à bras le corps et de tenter de le renverser. Si si, c'est fou ce qu'on peut trouver dans la blogosphère et sur internet...
The Lipsticklibrarian changera à jamais l'image que vous pouviez avoir de la bibliothécaire sèche et antipathique : "What makes a Lipstick Librarian? Money? Fame? Beauty? A mastery of AACR2 and reference interview techniques? No! It's the ability to look fabulous while poking around a dot-matrix printer with a bent paper-clip.". Et pensiez-vous jamais trouver le site de la bibliothécaire adepte de danse du ventre ? Dans un autre genre, certains exhibent leurs tatouages... Ca paraît beaucoup ? Ne vous inquiétez pas, tous les bibliothécaires ne sont pas aussi impliqués dans leur lutte contre les stéréotypes. D'autres préfèrent un engagement plus politiques et militant et se retrouvent dans la Progressive Librarian Guild créée en 1990 en réaction à l'augmentation des liens entre bibliothèques et entreprises commerciales.
Allez je suis long je sais mais je voudrais terminer sur cette blague :
How many librarians does it take to change a light bulb?
Four. One to install the bulb and three to test it in staff mode for three months before the patrons get to use the light.
A voir aussi :
Pour aller plus loin :
2 Commentaire-s :
L'Anthropoïde ourang-outesque qui gère la bibliothèque de l'Université des Mages (ce qui ne semble pas de tout repos) a bien compris l'intérêt qu'il peut trouver à ne pas redevenir humain. On peut le comprendre. Oook.
A lire : Les annales du disque monde, Terry Pratchett (seul bibliothécaire à nourrir ses livres, les enchainer et usant parfois d'une force propre à sa nouvelle espece)
Thilas:
D'accord sur le rôle de la bibliothèque dans l'audiovisuel anglosaxon, mais note tout de même que les bibliothécaires eux-mêmes sont souvent caricaturaux ou, plutôt, stéréotypés : Giles dans Buffy, le vieux monsieur tout bizarre avec son tampon dans Indiana Jones et la Denière Croisade.
Willy:
A lire aussi De Bons Présages, du même Pratchett, pour sa description d'un libraire anglais "plus gai qu'un arbre rempli de singes sous protoxyde d'azote."
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