mercredi, janvier 18, 2006

Blog et enseignement

On a beaucoup parlé en début de semaine de l’histoire de ce proviseur qui venait d’être révoqué (sanction la plus lourde pour un enseignant qui ne peut alors plus exercer dans l'éducation nationale) parce qu’il mélangeait des commentaires sur sa vie professionnelle et sur sa vie (homo)sexuelle avec notamment des photos jugées comme "pornographiques" sur son blog (interview de M. Paul Desneuf, directeur de l’encadrement à l’Education National). Bien que signant avec un pseudo, au fil des billets il évoquait la ville dans laquelle il se trouvait, permettant ainsi de découvrir son identité. (lire à ce propos l’excellent billet également de Maître Eolas)

Il semble donc que l’éducation nationale et, partant, les services de l’Etat aient un problème avec les blogs. A ce propos, les fonctionnaires répondent à une obligation de réserve qui les contraint à observer une retenue dans l’expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire. Cette obligation ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. C’est une création jurisprudentielle, reprise dans certains statuts particuliers, tels les statuts des magistrats, des militaires, des policiers... Aussi, est-il important de rappeler qu’au plan des principes, cette obligation de réserve ne peut être - comprise comme une interdiction pour tout fonctionnaire d’exercer ses droits élémentaires de citoyen, notamment ses libertés d’opinion et d’expression. Des droits qui sont, eux, reconnus par l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant sur les droits et obligations des fonctionnaires :
Article 6 : La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires.
A propos de la limitation de la liberté d’expression cette fois, on trouve également ces articles.
Article 26 :Les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal.
Les fonctionnaires doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d'accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont ils dépendent.

Article 29 : Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale.

Article 30 : En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline.
La liberté d’expression du fonctionnaire. Même lorsque la contrainte est faible ou inexistante, pour forcer l’adhésion aux valeurs dominantes, on limite la liberté d’expression des fonctionnaires. La justification en est que la cohésion de l’administration ne doit pas être mise en cause. Obligation est imposée au fonctionnaire d’observer une parfaite neutralité, de respecter la discipline, de s’abstenir, même en dehors du service, de tout acte susceptible de faire douter de son impartialité.

Garfield, l’auteur du blog incriminé, a effectivement été suspendu en septembre avant que sa révocation ne lui soit signifiée le 10 janvier dernier. Depuis, il a reconnu être allé trop loin en parlant ainsi de sa vie privée mais il a tout de même déposé un recours gracieux contre sa révocation.

De leur côté, les blogueurs ne sont bien évidemment pas libres d’écrire ce qu’ils veulent et demeurent soumis à la législation en vigueur que Maître Eolas rappelle dans son billet désormais célèbre sur les rapports entre blogueurs et responsabilité, rappelant que écrire et publier sur un blog, c'est engager sa responsabilité sur le contenu de ce qui y est écrit. et que si la liberté d'expression est une liberté fondamentale, (…) il n'existe aucune liberté générale et absolue. Il précise enfin :
Le principe est que la sphère privée est séparée de la sphère professionnelle (qui inclut la sphère scolaire). Aucun salarié ne peut en principe être puni pour un comportement qu'il a dans sa vie privée ou en dehors de ses heures de travail ou d'étude.
Certaines professions font exception à cette règle, à commencer par la mienne. Mais les membres de ces professions sont généralement bien informés de leurs obligations déontologiques. Ces obligations varient d'ailleurs tellement d'une profession à l'autre que je n'en ferai point le recensement.
Mais la séparation sphères privée et publique n'est pas parfaitement étanche. Ainsi en est il lorsque le blogueur parle de son travail sur son blog. Là commence le danger. A ce jour, aucune réponse certaine ne peut être apportée sur ce qui est permis ou ce qui ne l'est pas.

Je comprends surtout qu’à titre personnel, je me dois de faire attention quand je parle ici de mon travail et de ne pas rentrer dans des considérations trop précises et identifiables.

Est-ce à dire que les enseignants ne peuvent pas bloguer ?
Pourtant, certains professeurs ne se privent pas pour bloguer dans le respect des règles édictées et surtout dans le cadre professionnel (ce qui exclut toute interférence de la vie privée). InternetActu cite justement le blog des Espaces Numériques de Travail où des profs de tous cycles (primaire, secondaire, supérieur) partagent leur expérience et leurs usages des technologies.
Le blog des ENT rassemble un groupe d'acteurs de terrain engagés dans des expérimentations d'usage des TIC visant à favoriser les échanges au sein des communautés éducatives d'écoles, de collèges ou de lycées. Ces rédacteurs rendent compte au jour le jour de leurs pratiques, des questions qu'elles soulèvent, des difficultés qu'ils rencontrent et des avancées de leur projet.

Dans l’enseignement supérieur, malgré un certain nombre de difficultés soulignées avec pertinence par Evelyne Broudoux, invitée du mois sur Urfist Info dans un billet intitulé Autorités énonciatives et espaces de publication et de référencement, quelques enseignants ont décidé ainsi de publier sur le web. L’agence de mutualisation des Universités consacre un article à ce sujet dans son dernièr feuillet d’actualité des Université, citant les travaux d’universitaires tels que Baptiste Coulmont à Paris, Manuel Canévet à Nantes, Jean-Paul Pinte à Lille 1, du conservateur Nicolas Morin à Angers et de la bibliothécaire Marlène Delhaye à Aix-Marseille en charge de feu BiblioAcid. A cette liste, on pourrait ajouter Eric Delcroix qui officie à Lille 3 ou Olivier Ertzscheid à la Roche-sur-Yon (à lire, son billet sur le sujet : to blog or not to blog). Ce dernier justement avait ouvert une carte Frappr, intitulée Francoblogscience, censée recencer les blogs traitant de disciplines scientifiques.

EDIT : j'ajoute un lien vers un billet clair et semble-t-il complet écrit par un juriste dans une collectivité locale sur les obligations des fonctionnaires et les sanctions qui peuvent les menacer : le cas Garfield à l'épreuve du droit de la fonction publique

2 Commentaire-s :

Blogger Thilas a dit...

Nouveau lien pour le billet de Megathud :
http://www.megathud.com/?2006/01/18/92-le-cas-garfieldd-a-l-epreuve-du-droit-de-la-fonction-publique

2/23/2007 02:33:00 PM    
Blogger Thilas a dit...

http://www.megathud.com/?2006/01/18/92-le-cas-garfieldd-a-l-epreuve-du-droit-de-la-fonction-publique

2/23/2007 02:33:00 PM    

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